Pensez-vous que la France est gouvernable avec l’Assemblée nationale telle qu’elle est constituée aujourd’hui ?

La question mérite d’être posée, car aucune assemblée nationale sans majorité présidentielle absolue n’a été élue depuis avril 1997. Mais surtout, c’est la première fois dans la cinquième République qu’aucune majorité absolue n’est atteinte par personne. Sur cette question, les avis semblent en tout cas très partagés : 42.98% des personnes interrogées ont estimé qu’Emmanuel Macron ne pourrait pas gouverner avec une Assemblée constituée notamment de 131 députés NUPES et 89 députés RN. En revanche, 45.42% pensent au contraire qu’il lui restera assez de marge de manœuvre pour diriger la France. 11.60% restent prudents sur cette question et ne se prononcent pas : il est vrai qu’Emmanuel Macron nous a habitués à tirer parti des situations mêmes lorsqu’elles paraissaient être à son désavantage initialement. Nous ne sommes donc pas à l’abri d’une nouvelle surprise.

Tout d’abord, il apparaît que la cinquième République a été créée pour que la France puisse être gouvernée dans la stabilité, même lorsque le président de la République ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Dans ce cas précis, il pouvait former une majorité absolue en composant avec un groupe de l’opposition. Ce cas de figure avait d’ailleurs souvent lieu à l’époque du septennat, car les élections législatives ne suivaient pas immédiatement les présidentielles, ce qui empêchait le président fraîchement élu de bénéficier de la dynamique de son élection pour récupérer la majorité des sièges de l’hémicycle. À première vue, donc, rien de nouveau sous le soleil avec cette Assemblée qui semble, qui plus est, plus représentative des opinions des Français malgré le scrutin majoritaire. Cependant, la nouveauté vient de ce que le gouvernement d’Emmanuelle Borne a décidé de ne pas construire de majorité absolue, mais de construire une « majorité d’actions » qui sera variable en fonction des moments, ce qui rend l’exercice de la construction de la loi particulièrement fragile. 

Cependant, il était de coutume, pour un président se retrouvant dans cette situation, de prouver sa bonne volonté à l’égard du choix prononcé par les Français en nommant un nouveau gouvernement composé de ministres faisant consensus avec la majorité construite avec l’opposition. Or, il n’en est rien cette fois : il apparaît qu’Emmanuel Macron a fait le choix de nommer un gouvernement qui lui resterait favorable et de reconduire certains visages qui nous étaient funestement familiers (notamment Gérald Darmanin ou Éric Dupont-Moretti). Ce faisant, il envoie un message clair à ses opposants sur sa volonté de rester dans la démarche arrogante et autocratique qui lui est coutumière depuis son premier mandat. Dans ce contexte, l’hémicycle risque d’être difficilement en accord avec le gouvernement.

Enfin, il semble que pour le moment, ni Emmanuel Macron, ni Marine Le Pen n’aient la volonté de pousser le combat au cœur de l’hémicycle jusqu’à un point de non-retour contrairement à la NUPES. Le premier joue pour le moment la carte du dialogue en misant sur des alliances de circonstances avec les Républicains ou le Parti Socialiste. La seconde celle de la respectabilité et de la proposition en rejetant les accusations d’amateurisme sur ses opposants de la NUPES. La position du Rassemblement national sur la dernière loi autour du pouvoir d’achat illustre cette volonté : le parti se dit en effet prêt à voter le texte de la loi « même imparfait » afin d’apparaître comme un parti de gouvernement qui propose au lieu de contester. Reste à savoir si cette situation perdurera dans les prochaines années, voire les prochains mois, ou si la France deviendra totalement ingouvernable si bien qu’Emmanuel Macron sera forcé de dissoudre l’Assemblée nationale, cherchant à tirer profit d’un chaos augmenté pour se présenter comme la seule alternative stable : ni le « Jupiter » du premier quinquennat qui règne en autocrate sur le pays, ni « Vulcain » le boiteux et laborieux qui travaille dans l’Assemblée actuelle à forger des majorités variables en fonction de la situation, mais enfin « Apollon », le dieu soleil, qui domine l’Assemblée grâce à une élection imposée dans un contexte où les crises multiples effrayent les Français avides de stabilité.