À l’heure où les sondages annoncent que 68% des Français trouvent la justice trop laxiste[1], la remise en question de notre système judiciaire doit être sérieusement posée. A la question essentielle que nous avons posée «avez-vous confiance dans la justice de notre pays ?», 93,43% des votants ont d’ailleurs répondu «non», confirmant ce sentiment de méfiance générale. Certaines causes structurelles contribuent, bien entendu, à alimenter la défiance contre notre appareil judiciaire : en particulier le manque de moyens, le temps beaucoup trop long de certaines décisions des tribunaux, ou encore la complexité du droit. Pourtant, cette remise en question est également justifiée par trois critiques légitimes qui concernent certaines positions ou comportements inacceptables de la part des personnes qui travaillent dans ces institutions.

La première concerne les règles élémentaires de la déontologie. Il arrive trop souvent que les magistrats manquent à la présomption d’innocence, à l’impartialité, au respect de la dignité des victimes ou au devoir de réserve ; la funeste affaire du «mur des cons» en est une bonne illustration. S’est ainsi installée progressivement dans le pays l’idée que les magistrats étaient les seuls à pouvoir exercer leur métier en toute impunité, et à se permettre de telles transgressions sans risque.

La deuxième dérive porte sur le triomphe de l’idéologie sur le droit. Nous nous retrouvons fréquemment devant une situation où la seule conviction idéologique de celui qui préside le tribunal oriente la décision de justice dans un sens contraire à la loi. Pourtant, chaque Français est en droit d’exiger du juge qu’il soit loyal à l’égard de son rôle social, fixé par la Constitution ; non pas d’abandonner ses propres convictions, mais de les faire passer au second plan, derrière les exigences de sa fonction. Rendre la justice de manière indépendante, oui. Profiter d’une indépendance exagérée pour faire du militantisme politique au travers des décisions que l’on prend, non.

La troisième dérive relève d’une atteinte directe au principe de la séparation des pouvoirs : la jurisprudence d’aujourd’hui ne se contente plus d’interpréter le droit, voire de le compléter. Dans beaucoup de cas, elle n’est plus subordonnée à la loi. Elle la surpasse. Elle la contrôle. La jurisprudence a désormais pris une importance telle qu’elle tend à s’ériger en autorité normative : certaines situations particulières sont donc brandies de manière à pouvoir en tirer une portée universelle qui n’est pas adaptée.

Désormais, il est temps, de renforcer la confiance des Français dans leur institution judiciaire en réaffirmant l’égalité de tous les citoyens devant le droit. Il y a, pour cela, des exigences de principe. D’abord il faut assurer la stricte dépendance des magistrats du parquet (ceux qui ont pour fonction de requérir l’application de la loi) à l’égard de la politique pénale du gouvernement, et donc les placer sous l’autorité du garde des Sceaux lui-même. Il faut ensuite veiller à ce que la loi domine l’évolution de la jurisprudence. Il faut, pour cela, faciliter et accélérer la saisine du Parlement chaque fois que l’évolution de la jurisprudence s’écarte de l’intention du législateur. Enfin, il faut inclure dans la Constitution une règle indiquant que la loi qui vient corriger une jurisprudence s’impose à elle sans délai ni exception. Quatre réformes doivent être engagées dans le cadre ainsi fixé par ces principes : 

  • Il faut commencer par assurer l’indépendance des magistrats du siège (ceux qui sont chargés de dire le droit en rendant des décisions de justice) : le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) doit de nouveau être placé sous la présidence du chef de l’Etat, renouant ainsi avec l’organisation qui prévalait naguère.
  • La deuxième réforme est la responsabilisation des magistrats, et la définition des sanctions à leur appliquer en cas de négligence ou de manquement à la déontologie. Une réforme des procédures d’examen des plaintes pour négligence judiciaire déposées devant le CSM doit être engagée dans ce sens. L’on doit veiller à y adjoindre une procédure d’appel, dans le cas où le CSM ne ferait pas diligence, ou si l’une des deux parties concernées par le litige n’était pas satisfaite de la décision.
  • La troisième réforme est l’interdiction de la syndicalisation des magistrats. En effet, ceux-ci ont normalement l’obligation stricte de se tenir à l’écart de toute forme d’action politique, depuis l’ordonnance de 1958 qui règle leur statut. Deux ordres des magistrats indépendants du CSM doivent être créés en parallèle, chargés de régler les questions liées aux négligences commises par des juges dans l’exercice de leurs fonctions.
  • La quatrième réforme porte sur la formation des magistrats. La France doit former les juges dans les facultés de droit, et compléter leur formation par une période d’apprentissage pratique sous le tutorat de magistrats en exercice.

 À ces seules conditions, nous pourrons enfin sortir du gouvernement des juges et rétablir la confiance des Français dans leurs institutions judiciaires.

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[1] «Sondage : 68% des Français trouvent la Justice trop laxiste», CNEWS, le 29/09/2021.